dimanche 15 juin 2008

Penser l’Europe (aux lendemains du référendum irlandais, mais ce n’est qu’un détail…)

Edgar Morin dans son ouvrage Penser l’Europe déclarait en 1987 : «longtemps je fus anti-européen. »

Il justifie de fait l’idée que l’on puisse être (ou avoir été) anti-européiste et que même les plus farouches opposants finissent par se rallier à 'l'Europe'. Cette phrase d’introduction illustre plus son idée du dialogisme[1] qu'elle ne l'est dans la phrase suivante : « ce qui est important dans la culture européenne ce ne sont pas seulement les idées maîtresses (christianisme, humanisme, raison, science) ce sont ces idées et leur contraire. » Pour E. Morin la force de l’Europe (sous entendue la force de la construction européenne qui bien que distincte la rejoint ici) réside dans le fait qu’il existe un débat. C’est en quelque sorte un moyen de justifier comme un acte européiste le fait de dire non à l’européisme tel qu’il se présente.

On m’a demandé récemment - et très officiellement - si pour moi l’européisme était une idéologie. La réponse attendue était consensuelle, j’ai donc émis des réserves en indiquant qu’à son apogée, dans les années 1920, l’européisme était épars et empruntait à toutes les formes d’idéologies : le libéralisme (économique et politique), le libre-échangisme, le socialisme, le pacifisme voire le nationalisme et le nazisme dans les années 1930. Mais je crois en fait que l’européisme est bel et bien une idéologie, qui comme toutes les idéologies réussit à faire croire qu’elle n’en est pas une.

Certes une idéologie a besoin de militants. Le paradoxe établit par l’historien Robert Frank qui voudrait qu’à partir de la construction concrète de l’Europe, de La Haye en 1948 et du traité de Rome en 1957 jusqu’à Maastricht en 1992 et au TCE en 2005, les ferveurs européennes et la conscience de la nécessité de faire l’Europe se sont estompées au contact des réalités. Il n’y a en effet plus, ou très peu, de militants européens dans les années 1960-70. Donc pourrait-ce être une idéologie sans militants ? Le capitalisme est une idéologie qui n’a pas besoin de militants, juste des rouages.

Les rouages existaient depuis le traité de Rome de 1957 et les opposants n’avaient plus qu’à plier comme l’ont fait Margaret Thatcher et François Mitterrand à partir de leurs positions respectives au Conseil européen de Fontainebleau en 1984, l’idéologie se dévoile par le consensus. Dès lors peut on penser l’Europe dans ce cadre précis ? Milan Kundera disait en 1983 dans un article publié dans Le Débat : « l’Europe n’a pas remarqué la disparition de son grand foyer culturel puisque l’Europe ne ressent plus son unité comme une unité culturelle. »

Le foyer culturel est pourtant une des caractéristiques d’une civilisation. Pour Fernand Braudel[2] elle se définit à travers des espaces, des sociétés, des économies, des mentalités collectives. Mais si ces éléments sont nécessaires pour la constitution de civilisations ils ne sont pas suffisants. Les civilisations doivent en plus être des continuités. Pour comprendre et définir une civilisation il faut définir et comprendre l’histoire de ces continuités. La culture européenne basée sur sa civilisation n’existe pas par l’Union Européenne car elle n’a pas de continuité, elle est figée.

Selon Robert Frank[3] « Charlemagne et Hugo ont moins compté que Hitler et Staline » ; la civilisation actuelle de l’Europe n’est pas une civilisation, car elle ne repose pas sur une unité réfléchie et des événements ‘positifs’ de l’inconscient collectif mais sur des éléments de réaction à un modèle différent voire antagoniste.

Paul Valéry avait raison lorsqu’il déclarait dans Regards sur le monde actuel « L’Europe n’a pas eu la politique de sa pensée. »


Berlin Belleville


[1] Le principe dialogique unit deux principes ou notions antagonistes

[2] BRAUDEL (Fernand), Grammaire des Civilisations, 1987

[3] FRANK (Robert), Les identités européennes au XXème siècle, 2004

dimanche 1 juin 2008

love, interrupted

Non, dans la vie, il n'y a pas que Cannes. (Dans une prochaine note, bien évidemment, je tenterai de vous convaincre du contraire.) Pendant que Khoo, Desplechin ou Folman arpentaient la Croisette, d'autres films sortaient à Paris. Bref - un jour où le monde était à l'envers, Balthazar s'est levé tôt (après s'être couché très tard), et MP s'est levé tard. C'est donc seul qu'à la séance de 11h10, Balthazar est allé voir Wonderful Town (Aditya Assarat), splendide chronique d'un amour contrarié (voire purement et simplement interrompu), dans le sud de la Thaïlande post-tsunami. Au coeur du film, ce principe jamais appuyé, toujours finement, sensiblement exploité : l'inscription de l'homme dans son milieu, les climats, les sentiments.
L'histoire est connue : tout corps étranger - ici, un architecte venu de Bangkok - risque le rejet d'un milieu où il change la donne, crée de la rupture - même tout en douceur, avec une apparente tranquillité.
Un cadre précis, une narration limpide, un rythme en faux plat, une attention de chaque instant portée à l'environnement et un final saisissant, qu'à l'image de la vague l'on n'avait pas vu venir (de l'instant où Ton, dans la chambre, prend Na dans ses bras, et jusqu'au dernier plan, je prends tout, sans réserve ni condition) emportent le morceau.

Le propos, le scandale, quels sont-ils ? Qu'en amour l'on passe du chantier à la ruine en un clin d'oeil.

PS : en termes d'enthousiasme, d'adhésion aux films, je ne m'explique pas toujours le principe des vases communiquants - dû au fait, sans doute, que je vois ces temps-ci beaucoup de films, et que dans ma tête les uns précisent, bousculent ou chassent les autres -, qui veut aujourd'hui que la vision de ce film me pousse à réévaluer (très) à la baisse celle des Trois Singes (le dernier Nuri Bilge Ceylan, vu à Cannes), qui pour le coup me paraît formaliste, tristement mécanique. Pourquoi celui-ci plus qu'un autre ? Dans l'intervalle, j'aurai pourtant vu une petite dizaine de films... Mystère dans l'esprit du spectateur...

Balthazar Castiglione.