jeudi 25 décembre 2008

mister lonely rencontre mister lonely


J'avais téléphoné à quelques amis pour leur proposer de m'accompagner voir le nouveau film d'Harmony Korine. Mais ce nom fait fuir, je ne sais pas pourquoi. Je parlais du film, captant l'intérêt, puis je disais "Au fait, c'est un film d'Harmony Korine", et on me raccrochait au nez (en maugréant en breton ou en picard -les membres de la petite marchande de bombes appartenant tous à une de ces deux cultures).
Je ne connais Korine que comme scénariste de Larry Clark (pas ma tasse de thé), ses films me sont inconnus. Mais le titre, Mister Lonely, et l'amorce, un sosie de Michael Jackson rencontre une sosie de Marilyn Monroe à Paris, m'excitait.
Je suis donc allé seul au Reflet Medicis ce mardi 23 décembre. Je me suis dit que j'allais retrouver d'autres adeptes. J'arrive juste à l'heure pour la séance, j'entre dans la salle. Il n'y a personne. Passé un moment de surprise, j'ai trouvé ça merveilleux d'avoir la salle pour moi seul, et puis c'était adapté au titre du film : j'étais Mister Lonely. Sur l'écran et dans la salle, ça serait la même chose, pas forcément la même chose, mais une même famille. J'y ai vu un signe, le signe que ce film et moi devions nous rencontrer. J'étais amoureux du film avant même qu'il commence. Mon corps électrique était parcouru de frissons.
L'heure de la séance était dépassée depuis cinq minutes. Je m'étonnais d'un tel retard, dans ce cinéma ce n'était pas habituel. Rien lors de cette soirée ne l'était. La magie a continué alors que les lumières étaient encore allumées : une jeune femme est sortie des toilettes et s'est installée deux rangs derrière moi. Nous étions deux. Puis un homme est entré, un couple, un autre couple. Nous étions sept. J'étais heureux, j'avais l'impression de recruter des camarades de conspiration. Ils étaient en retard parce qu'ils avaient déjoué des pièges et des systèmes de surveillance. Nous étions complices, comme dans un film sur l'occupation allemande en France, quand les résistants se retrouvent dans un cinéma, seul lieu de liberté (est-ce dans L'Armée des Ombres ?). Oui, il y avait une ambiance à la Dirty Dozen, à la Wild Bunch. Mon téléphone sonne. C'est Mhamed (je viens d'apprendre qu'il a un poste à Florence pour l'année prochaine). Je lui propose de venir assister à Mister Lonely (sans lui révéler le nom du metteur en scène, heureusement car s'il l'avait su, me dira-t-il plus tard, il ne serait pas venu). J'ai le sentiment d'être un recruteur pour un réseau clandestin. Il est à Palais Royal, il arrive. Il entrera dans la salle dix minutes après le début du film (il a apporté de la nourriture, une blanquette de veau je crois, une demi-baguette et une tranche de Gouda au cumin, il se tient à l'écart le temps de dîner ; il s'asseoit à côté de moi quelques minutes plus tard).
Alors voilà, ce film est une merveille. Il pourrait paraître grotesque (les sosies qui vivent tous dans un château en Écosse ; ces nonnes qui sautent d'un avion sans parachute -scène d'une beauté sidérante-; Werner Herzog en curé, Denis Lavant en Charles Chaplin, Anita Pallenberg en reine d'Angleterre), mais il est magique, tendre et brillant. Sans conteste le meilleur film de l'année (avec Valse avec Bachir et, pour Mhamed, Lola Montes, que je n'ai pas encore vu, je vais faire ça un de ces prochains jours). Un film de freak sur des freaks pour les freaks (and geeks éventuellement) et les misfits.
Hier j'ai reçu les épreuves d'un livre collectif (43 écrivains à l'affiche) que j'édite avec Thomas Reverdy (aux éditions Intervalles) : Collection Irraisonnée de Préfaces à des Livres Fétiches. Je suis heureux et fier, les contributions sont toutes excellentes. Pour finir, une citation de circonstance, extraite de Petites Épiphanies de Caio Fernando Abreu :
"Joyeux, joyeux Noël. Nous le méritons bien."

Putain, oui, nous le méritons.

Martin Page

jeudi 4 décembre 2008

Sans un bruit – cinquième opus de la série « Donjon : Potron-Minet », écrit par Lewis Trondheim et Joan Sfar, dessinée par Christophe Gaultier

Pour ceux qui ne connaissent pas la série de bandes-dessinées initiée par Joan Sfar et Lewis Trondheim, je vous conseille vivement le site : http://www.bibou.org/donjon/murmures.php?page=aparaitre et la lecture des trois premiers "Donjon Zénith", vraiment très drôles et des Potron-minet + Mon fils le tueur le magnifique opus dessiné par Blutch... pour commencer !

Il y a un peu de Vingt ans après dans le début du cinquième volume de la série « Donjon – Potron-Minet », Sans un bruit. Le comte Arakou de Cavallère, père du héro, Hyacinthe de Cavallère a.k.a La chemise de la nuit, étranger en son propre château et dans l’époque initiée par son fils, part à la recherche de ses anciens camarades de guerre. Prêts à reprendre les armes ? Non, plutôt à ouvrir une coopérative de vieux soldats ou cultiver une vigne…
Les lecteurs de « Donjon » le savent, le très grand nombre de collaborateurs à la série assure la création d’un monde (un Donjon, trois époques – Zénith, Potron-minet, Crépuscule – et deux séries parallèles sur des personnages ou actions secondaires – Parade et Monsters) mouvant et protéiforme. Les recoupements constants entre les histoires, souvent drôles, quelquefois tragiques, sont assez jouissifs, de même que la confrontation des styles de dessins de différents dessinateurs sur un même personnage/lieu enrichit le monde ainsi créé. Tout cela tient bien entendu à la grande qualité des scénaristes, le duo éprouvé Trondheim/Sfar (accessoirement, ils jouent tous les deux du ukulélé) et des dessinateurs. On retrouve les stars de la bd française - Larcenet, Blutch, Menu, Blain, Stanislas et des auteurs plus confidentiels Yoann, Killofer... Loin d’imposer un trait à l’ensemble de la série, Trondheim/Sfar collaborent avec des dessinateurs dont l’univers est loin de celui de « Donjon », leur laissant toute liberté de plier ce monde d’heroic fantasy à leur style de dessin, souvent fort et reconnaissable (bonne représentation des dessinateurs qui publient(aient) à « L’Association » et qu’on n’attend pas forcément dans ce type de série). D’où un renouvellement certain du genre et un retour aux sources de l’aventure, avec références littéraires et philosophiques. Bref, on est plus près de Dumas, Cervantès ou Tolkien que de Lanfeust.


La chemise de la nuit par, de gauche à droite, par Blutch, Blain, Yoann, Nine et Gaultier



Et puis, c’est toujours intéressant, la répétition d’un motif et d’un système permet d’apprendre pas mal de chose sur les particularités ainsi mises à jour des différents auteurs et dessinateurs. Le concept de la série induit de facto beaucoup de MetaBD. Le duo de scénaristes, seule chose qui ne se modifie pas, est ainsi à la merci de l’inspiration, du découpage et des choix narratifs des dessinateurs et, même avec deux personnalités aussi fortes que Trondheim/Sfar, il n’est pas difficile de voir chaque dessinateur se saisir de l’histoire. A cet égard, « Donjon » est aussi un formidable vivier de découvertes de talents (et aussi le vecteur de quelques déceptions pour certains dessinateurs appréciés dans d’autres domaines). La série est en elle-même porteuse de succès, les créateurs assez reconnus pour laisser leur chance à des dessinateurs plus à la marge.
Ce n’est pas tout à fait le même processus de création, ni bien sûr le même support, mais «Donjon » est ce qui me semble se rapprocher le plus des séries américaines récentes, avec pléthores de scénaristes et de réalisateurs. Un vrai travail de création collectif dans un pays qui en montre peu d’exemples.
Mais la série a aussi ses limites, inhérentes au concept : qualités des albums inégales, mariages ratés et multiplications des albums « one shot » au dépend des séries principales, qui sont la clé de voûte du « Donjon », et qui ne tiennent pas toujours ce rôle (baisse de régime dans les derniers albums de la série Zénith, dont les personnages et l’unité temporelle ont été très exploités dans les séries parallèles).
De ces trois séries principales, réservées dans un premier temps aux maîtres d’œuvre puis reprises après quatre ou cinq épisode par d’autres dessinateurs - Boulet et Kerascoët - la période Potron-minet est certainement celle qui a le mieux joué son rôle. Dessinée par Christophe Blain, le créateur du blockbuster Isaac le Pirate, les quatre premiers albums posent les bases d’une histoire forte, celle de la construction du Donjon par Hyacinthe de Cavallère, jeune comte provincial naïf et chevaleresque qui découvre le monde dans la grande ville Antipolis sous la protection de son oncle, homme d’affaire qui causera la perte de la ville (l’homme a un projet fou : un métro pour désengorger les rues !). Face aux perversions et aux désenchantements d’Antipolis, Hyacinthe devient La chemise de la nuit, un justicier à l’ancienne mode. Récit initiatique donc, qui voit triompher le désespoir et le cynisme sur la galanterie et le panache.
L’époque moderne, quoi.

La réussite des ces quatre albums tient à l’alliance de la cruauté bonne enfant de Trondheim (qui a fait des émules dans tout « Donjon »), la portée philosophique de Sfar et surtout, ce qui manque à beaucoup d’albums de la série, le talent parfait de Blain à raconter une histoire. Pas une anecdote, une historiette, ou une blague développée mais une histoire équilibrée, avec des enjeux forts, des personnages parfaitement sentis et, ce qui fait le sel de Potron-minet, le spleen. Nostalgie d’un monde disparu, d’une jeunesse qui s’enfuit, d’un amour sacrifié... Potron-minet, pour narrer la création du Donjon, c’est noir et triste.
Difficile, dans ses conditions, pour Christophe Gaultier de succéder à Blain pour le cinquième opus de P-M « Sans un bruit ». D’abord, parce qu’on en veut un peu à Blain de laisser tomber cette histoire qu’il a si bien portée. Et puis aussi, pour l’album lui-même, décevant. Pas par le dessin, qui est peut-être ce que je préfère : personnel, fluide, stylé. Mais pour la construction du récit.
Le signe infaillible d’un film/livre raté, c’est de ne pouvoir en trouver le sujet. Chez Blain, pas de problème, le sujet est dans le titre (l’esprit de synthèse acéré de Blain, toujours). Dans Sans un bruit, le récit commence et narre abondamment les pérégrinations du père de Hyacinthe et d’Alexandra, pas franchement passionnantes, avec des rebondissements un peu compassés (et l'ancien ami qui se révèle être un traître, et le jeu père-fille vaguement incestueux). Il faut attendre la page 43 (sur un album qui en fait 48 !) pour voir apparaître La chemise de la nuit et comprendre où veut en venir l’histoire (la vengeance de La chemise de la nuit, son adoption définitive des méthodes de combat modernes contre les méthodes chevaleresques, soit l’assassinat dans le sommeil vs. le duel). Certaines situations sont porteuses de sens, et par là dramatiques (l’intervention de Jean-Michel dans le meurtre d’Arakou, particulièrement glaçante ; les méthodes pour prendre le pouvoir sur la reconstruction de la ville) mais elles sont évacuées en 2/2 au profit de certains personnages vraiment ratés - l’ami fou d’Arakou, Miguel - qui sont censés garantir une tonalité comique ( ?) mais qui se révèlent plutôt embarrassants.
D’où cette impression constante de déséquilibre de l’action, que l’on retrouve dans le dessin avec de très petites cases au début de l’album contenant des dessins très denses (assez désagréable à lire) et des cases élargies avec une action tronquée en fin d’album (frustrant mais déjà plus intéressant). Un récit mal construit donc, avec des choses intéressantes, mais de mauvais choix dans le développement. Ce défaut de timing gâche pas ailleurs une des particularités de l’album, le trash du dessin et des situations, qui pourrait être une marque de fabrique, un supplément, du nouveau dessinateur dans les prochains albums. RV pour le prochain, donc…

Un dernier commentaire sur une actualité « Donjon » : le dernier «Monsters », Le grimoire de l’inventeur, dessiné par Nicolas Kéramidas (que je ne connaissais pas du tout) est à conseiller. Le dessin peut rebuter (très rond, très Walt Disney), mais l’histoire est vraiment bien foutue et originale.
Une toute dernière chose : à quand un épisode dessiné par david B. ????? Allez, quoi…