dimanche 30 novembre 2008

dimanche soir (I've got a feeling I don't want to know )

"Tea — unless one is drinking it in the Russian style — should be drunk without sugar. I know very well that I am in a minority here. But still, how can you call yourself a true tealover if you destroy the flavour of your tea by putting sugar in it? It would be equally reasonable to put in pepper or salt. Tea is meant to be bitter, just as beer is meant to be bitter. If you sweeten it, you are no longer tasting the tea, you are merely tasting the sugar; you could make a very similar drink by dissolving sugar in plain hot water."
George Orwell
Tu as raison George, nous sommes en minorité.
Je lis Vie Secrète de Pascal Quignard, et ça me plaît beaucoup, même si je ne suis pas certain de toujours le suivre. En tout cas, c'est un livre riche, inspirant, magique. Je picore.
Dans ce livre nécessaire (collection d'articles, d'entretiens, courts essais) Entre mythe et politique, Jean-Pierre Vernant écrit : "On avance avec le temps, mieux vaudrait dire : on est déplacé, non d'un bloc mais par morceaux pour se retrouver au terme là où on croyait devoir aller, ailleurs dans son chez-soi, autre dans sa façon de demeurer le même."
Voilà, nous sommes dimanche soir, je viens de manger un toast trop grillé (mais ce goût me rassure je ne sais pas pourquoi, il me connecte à une époque, à des gens, du passé).

martin page

mercredi 26 novembre 2008

two lovers : amour, maladie et classes sociales


Je suis allé voir Two Lovers hier soir avec les garçons (l'équipe de la petite marchande de bombes) et toxicavengeresse. Deux camps à la sortie (enfin trois, puisque la question step brothers est revenue). Celui de ceux qui trouvaient la fin triste et celui de ceux qui la trouvaient, non pas joyeuse, mais tournée du côté de la vie. Je ne suis pas doué pour analyser les choses sur le long cours, voilà quelques mots un peu désordonnés (je suis désolé, mon travail me lance des miaous déchirants) sur ce film (qui a des ressemblances avec step brothers), une grande oeuvre sur la maladie et l'amour. L'histoire. Joaquin Phoenix est maniaco-dépressif, il a été fiancé à une femme qui, dit-il, l'a quitté car ils étaient tous les deux porteurs d'un gêne rare les empêchant d'avoir des enfants. C'était son grand amour, il ne s'en est jamais remis, il garde sa photo près de son lit. Puis vient Sandra, fille du quartier, brune et sage, prévenante et amoureuse. Il est attiré, il l'aime bien, une complicité naît entre eux. une histoire aurait pu commencer. Mais Gwyneth Paltrow arrive. La fille n'a aucun intérêt véritable, mais elle est malade (elle fait une allusion à un problème psy), elle est malheureuse, elle prend de l'ecstasy (on apprendra qu'elle a un problème de drogue plus ancien), son père lui hurle dessus. Elle a des qualités secondaires aussi, elle est blonde, elle montre un de ses beaux seins et elle vient d'un milieu très privilégié, c'est une princesse, déchue, mais elle reste une princesse pour un gamin de Brooklyn. Joaquin tombe amoureux, et il a raison, car ainsi, s'occupant de sa malade aimée, il n'est plus malade, c'est lui qui soigne, alors tout va bien, pour un temps, il est adulte quand il prend soin d'elle, il n'est plus ce gamin qui vit chez ses parents, il est un homme. Sandra la brune qu'a-t-elle à lui offrir ? Pas grand chose, elle est saine, en bonne santé, la pauvre, et pire que tout elle sait qu'il est malade, elle dit qu'elle s'occupera de lui. Cela le fait fuir, il ne veut pas de cette amour maternel, il a déjà une mère. Il sort avec Gwynteth, il est auprès d'elle à l'hôpital, il est là, fort, responsable. Quand Gwyneth quitte son amant marié, ils sont décidés à partir à San Francisco et son Golden Gate Bridge archétype lieu du suicide, c'est à dire qu'ils vont vers la mort, tous les deux trop fucked up, c'est évident ça finira comme ça. Mais non, heureusement, le mari idiot divorce et récupère l'idiote Gwyneth (ils viennent du même milieu et puis il a l'âge de son père, alors c'est parfait, l'endogamie est préservée, voilà de la tragédie, voilà ce que pense Gray du libre arbitre). Joaquin pourrait se tuer. Cela serait logique, tout est fait pour l'amener vers cet océan dans lequel il s'est laissé tomber au début du film, ça serait une fin triste classique. Mais il réfléchit ; peut-être qu'il a enfin compris quelque chose sur Gwynteh, il a compris qu'elle n'était rien, qu'elle n'existait que par sa maladie, ça les rapprochait c'est sûr, mais c'était factice ; il n'en a pas besoin, il a sa maladie bien à lui, il ne pourra jamais l'effacer. Mais cette histoire avec Gwynteth n'a pas été vaine : pendant un moment il a été adulte, il a vu qu'il pouvait être là pour quelqu'un, être utile. Et puis il a enfin jeté la photo de son grand amour passé. Cette histoire l'a transformé en homme, il n'est plus l'enfant de quarante ans qui vit chez ses parents (voir step brothers). Il fait un choix, parce qu'il est malade, mais cela n'empêche pas de faire des choix, au contraire. Et il va vers l'amour ; il reprend l'histoire interrompue. Peut-être qu'il ne l'aime pas passionnément cette Sandra, mais ça viendra, et ça ne sera pas moins fort que l'amour spontané et égoïste pour Gwyneth Paltrow, ce mirage ; ça sera un amour adulte, c'est effrayant et merveilleux, il y aura peut-être plus de tendresse que de passion, ça sera compliqué mais plein de douceur, il y va. C'est une fin antiromantique, belle, réelle ; bien sûr, c'est de la tragédie, nous ne sommes pas tout à fait libres, mais nous avons une marge de manoeuvre, assez large pour des sourires et des baisers ; Joaquin Phoenix n'est plus un enfant, mais un adulte qui a besoin de soins, d'une famille, de stabilité, il a besoin de donner de l'amour et d'en recevoir. Une vie qui ressemblerait à celle de la famille qui a échappé aux nazis (après bien des épreuves personnelles) à la fin de The Sound of Music, de Wise, le film préféré de Sandra, et qui trouve refuge en Suisse, dans une Europe en guerre. Joaquin Phoenix répond à Sandra, gênée de citer ce film à la réputation mièvre, que c'est un film sousestimé. La clef du film est dans cette phrase. L'amour qui va les unir est sousestimé, tant pis pour ceux qui l'ignorent, ils vont le vivre, ils en savent la beauté.
(Comme le titre rappelle two sisters des Kinks, voilà une bonne occasion d'écouter cette chanson.)


martin page

jeudi 20 novembre 2008

step brothers, drôle et sentimental


J'avais envie de rire, et pour cela il me fallait un prétexte, un film qui se présentait comme drôle pour amorcer la chose. Peu m'importait qu'il le fut réellement. J'étais décidé à simuler. Je voulais me trouver dans une salle où mon rire serait possible. Il n'aurait pas eu de sens, mais sa sonorité m'aurait rappelé de vrais rires passés et sincères. Je me préparais à un film banal et gras, je préparais mon rire tonitruant à des gags sans imagination ; mon rire serait forcé et violent, il me donnerait le hoquet et mal à la gorge. Et puis, non. J'ai été pris au dépourvu. step brothers est un film drôle, distingué et incroyablement émouvant ; le jeu des acteurs est subtil, les situations originales, il y a mille trouvailles qui le rendent supérieur à tous les autres films de l'écurie Apatow (et le place en haut du podium des comédies de ces dernières années). Et, chose rare, c'est une comédie qui ne connaît pas de faiblesse à mesure qu'elle avance. Elle tient bon. Surtout ce film est constamment sur la ligne entre rire et émotion ; c'est très fin, on est à deux doigts d'éclater en sanglots, mais non, juste à temps, un détail, le jeu des acteurs nous emporte du côté de l'humour. Voilà un film sentimental, profond, humain. Non seulement step brothers est d'une grande intelligence comique, mais ce qu'il dit de la famille, de l'amour, de ce drôle de truc de devenir adulte, de renoncer à nos jeux ou pas, le rapproche de films comme Ordinary People (Robert Redford) et de L'influence des rayons gammas sur le comportement des marguerites (Paul Newman). Et puis, je me suis rarement autant marré.
Ce matin je dois écrire un texte pour Le Monde à l'occasion du salon du livre jeunesse de Montreuil. On me demande de parler du premier livre qui m'a fait peur et pourquoi. J'ai tout de suite pensé au Grand Livre Vert, de Robert Graves et illustré par Maurice Sendak. Mon thé est infusé, j'y vais.
(note : la version sortie en salles en France est censurée, plusieurs scènes sont coupées du film original ; voilà qui pourrait justifier le piratage, dommage).

martin page

mercredi 19 novembre 2008

La vie moderne

A la faveur d’une année cinéma plus remplie et plus surprenante que d’ordinaire, des liens se nouent entre deux œuvres en apparence très différentes mais qui, par delà leurs différences, tendent à se rejoindre. The Wire, saison 2, est une série américaine créée par David Simon et produite par HBO, datant de 2003, soit la grande époque des séries américaines.
Dernier maquis est un film français de Rabah Ameur-Zaimeche, sorti le mois dernier.
Entre les deux, aucun rapport en ce qui concerne la structure du récit, le mode de production ou la direction d’acteurs : là où la série, argentée, travaille sur la base d’un script solidement charpenté avec l’aide d’acteurs très pros, le film se lance sur une trame ténue, sans budget, interprétée par des acteurs non-professionnels, dont le cinéaste lui même.
Et pourtant.
Les deux œuvres investissent dans le fond un même territoire, celui de la représentation réaliste des communautés immigrées de travailleurs pauvres, qui constituent l’essentiel du monde ouvrier et occidental d’aujourd’hui. Les Polonais à Baltimore, sur les docks, les Africains et Maghrebins dans la banlieue parisienne, accomplissent leurs gestes quotidiens, techniques, précis et parfois dangereux, dans un même décor écrasant de palettes rouges ou de containers multicolores.

Les enjeux, pour ces personnages, ne sont pas les mêmes : dans The Wire, il s’agit de faire survivre le syndicat, force unitaire d’une communauté soudée, et que l’un des personnages considère obsolète : en effet, pour renflouer les caisses, il faut parfois faire taire son éthique de travailleur honnête, et se rapprocher d’autres formes de syndicats, plus dangereux car illégaux.
Dans Dernier maquis, l’action du patron, à priori généreuse (construire une mosquée pour ses ouvriers), se révèle plus ambiguë, un moyen de contrôle sur ses troupes, qui se divisent alors en deux camps : les Noirs fidèles au boss, et les Arabes dissidents, rebelles par rapport au choix de l’imam et aux licenciements abusifs.
Dans les deux œuvres, il s’agit de dessiner le territoire symbolique de la rencontre des communautés dans une société occidentale multiculturelle, ces communautés ayant en commun de vouloir se battre pour conquérir une place et des droits (Franck Sobotka, tout en frayant avec la mafia grecque, n’attend qu’une chose, du travail pour ses hommes et une reconnaissance de ce travail ; de même pour les personnages de Dernier Maquis, où l’indépendance et la reconnaissance ne passent plus par le syndicat mais par le libre choix de l’imam qui va les guider). Deux récits bruts, ancrés dans le réel le plus terre à terre, celui des doigts gelés, des machines et de la précarité du travail, qui ont comme même objectif la création d’une esthétique poétique (Dernier maquis, dont les Cahiers du cinéma relèvent avec justesse la musicalité), voire militante (The Wire est une excellente analyse des dysfonctionnements de la société américaine), à partir d’un même matériau documentaire : les souffrances et difficultés de la classe ouvrière occidentale, et des hommes qui la composent.
Sadoldpunk

mardi 18 novembre 2008

kitano et rhume : un parcours

Je me prépare à voir Takeshis'. L'idée m'est venue en écoutant un disque de la musique de Joe Hisaishi ; l'idée d'écouter ce disque m'est venue je ne sais par quel chemin, peut-être de l'automne, peut-être parce que je suis enrhumé, et j'ai mangé des clémentines, des oranges, un kiwi, de l'acerola, bu de la tisane de thym et une décoction de gingembre. Oui je crois que tous ces éléments m'ont précipité vers Joe Hisaishi et donc vers Kitano (mais ça aurait pu être Miyazaki), et aussi, la nuit qui n'est pas tout à fait nuit sur la Seine près de Saint-Michel (où se trouve l'atelier collectif qui abrite mon bureau) grâce aux lampadaires. Et puis, mon père est malade, une amie très chère aussi (elle va de mieux en mieux) et une autre amie a eu un accident de voiture samedi très impressionnant (elle va bien). Voilà l'eau que je suis aujourd'hui, dans laquelle infuse tous ces brins de thé différents.
Je sais que je vais aimer Takeshis'. L'amour, comme la joie, est avant tout une décision. Je sais que les critiques n'étaient pas très enthousiastes, mais les critiques sont de petites machines idiotes et friables. On ne laisse pas tomber un artiste que l'on aime. Je suis là.


martin page

portraits de femmes

Je viens de commencer Portraits de femmes de Pietro Citati. Déçu par le texte sur Lou Andrea-Salomé. Un jour, j'aimerais lire quelque chose sur elle qui ne soit pas un prétexte pour parler de Nietzche ou de Rilke. Heureusement le portrait de Jane Austen est une merveilleuse compensation.

martin page

mardi 11 novembre 2008

Un armistice qui fait date

J'ai écrit ce texte pour le 90ème anniversaire de l'armistice de la première guerre mondiale.

J'ai écrit ce texte dans le souvenir des commémorations de mon enfance dans ce petit village qui se souvientcomme tant d'autres du

11 novembre 1918.


Le samedi 1er août 1914, à 4 heures de l'après-midi, tous les clochers de France font entendre un sinistre tocsin à une heure où l’on ne s’apprête pas à se rendre à la messe. Les hommes sont aux champs lorsqu’on leur annonce la mobilisation générale. Malgré la stupéfaction les français n’ont pas cherché à comprendre, on leur avait appris que « les Boches » étaient des barbares qui s’apprêtaient à venir égorger leurs fils et leurs compagnes, à ravager leur terres.


Selon l’historien Jean-Jacques BECKER* tous ne montèrent pas la fleur au fusil au combat, c’est bien souvent la résignation qui a accompagné l’entrée des français dans la guerre.

Dans le monde rural on se demande déjà qui s’occupera de la terre. On se rassure en se persuadant qu’en peu de temps ce sera une affaire réglée, que l’on reviendra pour les moissons.

Ce furent les femmes qui firent les moissons cette année là. Et les quatre suivantes aussi. Beaucoup d’hommes ne les firent plus jamais.


Parce qu’ils étaient les plus nombreux, parce qu’ils n’avaient peut être pas eu la même éducation à la communale que les citadins, les ruraux, ce que l’on moquait comme des « paysans », furent envoyés en première ligne. Ils étaient la fierté redoutée de la République. Ils n’étaient plus que le symbole de 1789 mais ils devaient se battre pour la République, parce qu’ils étaient cette République radicale, rurale, parfois crainte, souvent considérée trop conservatrice.


Eux qui avaient travaillé la terre avec le fer, ils ont succombé dans les bonnes terres de la Somme, de l’Artois, de la Champagne, des morceaux de métal dans le corps, dans des villages rasés qui auraient pu être le leur, où le clocher symbole de leur « patrie » était devenu une crainte, où un tireur pouvait mettre fin à leur vie. Cette terre grasse et nourricière devenait leur tombeau. La terre que l’on avait parfois du mal à labourer, pour laquelle on s’échinait et qui portait en elle la peine du labeur et de la tradition séculaire était retournée en un instant par la modernité qui portait des noms de femme. Bertha devenait synonyme de cauchemar pour ceux qui étaient depuis trop longtemps éloignés de leurs femmes et de leur famille.



Si la guerre a épargné le clocher de M***, les fusils n’étaient jamais loin. Le soldat de 2e classe Louis Casset, ce parisien natif du XIe arrondissement affecté au 88e régiment d’Artillerie, découvre le village lorsqu’il y cantonne dans ces journées juin et juillet 1918 rapportées dans son journal. M*** fut une base arrière de ces combats qui avaient lieu à quelques kilomètres. Ceux de M*** qui laissèrent leur vie pour la patrie auraient pu être près de chez eux quand ils ont disparu. Leur nom sur le monument aux morts, au centre du village, indique qu’ils sont toujours chez eux à M***.


Les moissons étaient terminées le 11 novembre 1918 à 11h quand retentirent plus de quatre ans plus tard les tocsins des églises de France. Quand se fait entendre le clairon de l’armistice, la France compte 1 393 000 morts, près de trois millions de blessés dont 74 000 mutilés.

La première guerre mondiale eut un rôle fondamental pour l’évolution du monde rural, car beaucoup de ses habitants ont du quitter les campagnes, ils ne pouvaient plus travailler la terre, à quoi bon rester devant une terre qui végète.


Le 11 novembre 1918 reste une date importante pour le monde rural, pour qu’il se souvienne que certains sont revenus, pour commémorer les disparus, pour faire vivre à nouveau la terre.


Berlin Belleville


* BECKER (Jean-Jacques), 1914, comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.