jeudi 14 mai 2009

Rachel se marie (good for her)

Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, j’aime certains réalisateurs sans jamais pouvoir le justifier, parce qu’honnêtement, ils ne font pas de très bons films.
Je ne parle pas des réalisateurs qui ne font pas des bons films que j’aime mais de réalisateurs dont je n’aime pas les films, rien à dire, mais où je peux sentir une honnêteté à vouloir faire ce métier et plus que tout, l’envie de raconter une histoire juste et courageuse, qui malheureusement, par son sujet même, donne un film souvent fade et ennuyeux. Des mecs sympas, quoi.


Il n’y a que de très grands réalisateurs pour pouvoir s’emparer de sujets moralement parfaits et en faire de bons films. Et encore… Un mec comme Gus van Sant se débrouille pour tricoter un film correct avec Harvey Milk. Et sa caution hyper hype (en plus de son indéniable talent pour filmer une histoire, of course) le met à l’abri des acerbes remarques que tout film bien pensant récolte forcément de la part de la critique cinématographique (si il obtient un oscar, c’est la crucifixion). Fair enough.

Tout ça pour en arriver à Jonathan Demme. Ses films ne font pas date, bien qu’ils aient eu un certain succès commercial lors de leur sortie : Dangereuse sous tous rapports avec Melanie Griffith et Ray liotta, Veuve mais pas trop avec Michelle Pfeiffer, Le silence des agneaux, Philadelphia (oui, Tom Hanks a le sida, oui, son avocat est noir), Beloved, La vérité sur Charlie (j’aime bien malgré tout)… Ca ne va pas passionner les amateurs de belles images, qui regarderont plutôt Stop making sense, le concert filmé des Talking Heads, plus chic.

A côté de ça, des documentaires sur les pays pauvres, qui défendent la liberté et les droits de l’homme( Jonathan !!!). C’est pourtant devant l’un d’eux que j’ai eu la révélation. The agronomist, que j’ai vu dans un festival un peu par hasard, est un formidable documentaire sur le journaliste Jean Dominic qui revient dans son pays d’origine Haïti. Réalisé sur 15 ans, le film mêle interviews, images d’archives et offre un point de vue d’une rigoureuse honnêteté, d’une clarté de vue dans un système politique plus que complexe. S’ajoute un parfait sens de l’esthétique, humble mais malin, réaliste, souvent très beau.

Voilà pourquoi je voulais voir Rachel se marie. Demme méritait un bon film. Il est mieux que ça encore.
D’abord, il a dû se rendre compte que le réalisme lui allait bien et évacuait l’esthétique léchée, compassée et un peu ringarde de son cinéma. La caméra à l’épaule, le mélange de formats, l’aspect film amateur, son économie jouent en sa faveur et donne une bouffée d’air à la réalisation. Et puis son pêché mignon, ici le mariage « post racial » comme disent tous les journalistes depuis la victoire d’Obama, soit le mariage d’un noir et d’une blanche avec présence de toute la famille noire, se rattache à un sujet fort du film, la musique. Les deux familles se retrouvent autour d’une passion pour la musique, avec du jazz, du rock burné (le mari est le chanteur de TV on the radio), de la musique africaine…, très présente sous forme de concert filmé, musiciens dans tous les coins de l’écran, discussion de passionnés… Le quotidien de beaucoup de gens, en fait, mais que l’on retrouve rarement comme sujet exprimé d’un film.
Au-delà de ça, il se passe quelque chose de très malin, parce que le film est bien écrit. Je ne vous raconte pas exactement de quoi il s’agit pour ne pas vous gâcher les rebondissements, mais la réussite du film de famille est d’arriver à prendre le spectateur dans ses filets et qu’il ne raisonne plus à distance mais comme membre même de cette famille.
Le principe d’une famille (écoutez bien, c’est une révélation) est de figer un événement et de demander à chaque membre d’y répondre différemment. Ici, évidemment, l’événement en question est assez traumatique pour imposer à chaque membre un positionnement fort. Mais le personnage de Kim (Anne Hathaway), victime du jugement familial et seul personnage à avoir été obligé d’aller chercher un regard extérieur sur elle-même, au prix même de sa vie, renverse les données de cet événement.

Et bien, ça m’a mise sur le cul. Parce qu’une heure avait suffit à me faire entrer dans leurs problématiques et que j’en avais oublié la simple question, la plus élémentaire, le sujet du film, que pose alors Kim à sa mère, et qui déclenche les plus violentes réactions.
La dernière fois que ça m’avait fait un tel choc, c’était au ¾ de Portrait de femme (le livre d’Henry James), lorsqu’on découvre la nature de Mme Merle… Mon livre préféré, by the way…