jeudi 19 novembre 2009

Irène


J'ai revu récemment, avec un immense plaisir, les derniers entretiens de Serge Daney dans le documentaire Itinéraire d'un Ciné-fils. Il parle de son enfance de cinéphile-topographe ("pour moi l'image fondamentale, c'est la carte du monde"; "le cinéma c'est la promesse de faire un jour partie du monde"), de son expérience de critique aux Cahiers du cinéma (les années 70) puis à Libération (1981-1986). Il décortique et démonte la télévision, qui parle à tout le monde et donc à personne, de partout et donc de nulle part ("la télévision, c'est comme un gros téléphone d'hôpital").
Et puis il parle des nouvelles technologies, de l'apparition des images de synthèse (on est en 1992, Terminator 2 est encore tout chaud) avec un certain scepticisme, se demandant si le cinéma n'est pas arrivé au bout de quelque chose. En même temps, rappelant l'enthousiasme de Bazin pour la couleur, puis pour le Cinémascope, puis pour le cinéma en 3D (qui explose aujourd'hui, Cameron, encore), il dit: "Un cinéaste doit croire en l'avenir de son outil, sinon il est foutu".

C'est le cas d'Alain Cavalier, qui tourne depuis 10 ans ses films avec une seule caméra mini DV, la même qui sert aux étudiants en cinéma pour tourner leurs pochades entre copains (je sais de quoi je parle), la même qui sert au français moyen pour filmer ses vacances ou le mariage du cousin.
Irène est donc un film minuscule, sans budget, et qui plus est sans acteurs, si ce n'est quelques photos, une apparition humaine fugitive, et la voix-off de Cavalier qui nous raconte son histoire. Des images de chambres d'hôtels, portes, fenêtres, couloirs vides... et pourtant, il y a plus de cinéma dans cet essai, autobiographique et minimaliste (bouleversant de pudeur et d'intimité établie avec le spectateur, qui est comme "invité" par Cavalier à rentrer dans le film) que dans le dernier Terry Gilliam (qui est loin d'être honteux). Et ceci parce que, quel que soit l'outil, sa technique d'utilisation, sa qualité visuelle, son avenir, ce n'est pas lui qui fait l'essence du cinéma. Lorsqu'il est maîtrisé, par un technicien, par un "maître", l'outil produit ce que Daney appelle de l'image: la publicité ou les productions Besson.
Le cinéma, c'est autre chose: pour Daney, c'est du temps, la création d'un temps propre au film. Et celui qui crée la temporalité de son film, c'est nul autre que le cinéaste.
Alain Cavalier en est un , assurément.