mercredi 16 janvier 2008

LA CONQUETE DE L'EVEREST














Quelquefois, quand on lit un livre, on se réjouit à l'idée qu'on lit un peu de la personne qui nous l'a recommandé (ou à plus forte raison offert), et l'on est deux fois heureux que le livre soit si beau.

Dans le meilleur des cas, il semble que l'oeuvre et la personne s'éclairent mutuellement.

Vous voyez où je veux en venir ? Non ?
A ce blog, précisément. Car je crois qu'il y a là quelque chose à voir avec sa modeste (mais nécessaire) ambition. La Petite marchande de bombes est un projet collectif. Ici, nous parlerons des choses que nous aimons. C'est aussi bête que ça.
En somme, c'est une petite arche foutraque, où nous voudrions faire grimper quelques bestioles - je veux parler de celles qui, chaque fois qu'on en parle, existent un peu plus, gagnent en visibilité ; des romans, des essais, des films, des chansons, des...

La culture - ne me parlez pas de son ministère, où elle demeure à l'état d'alibi, de papier peint - est à proprement parler révolutionnaire, émancipatrice. Son impact, son petit processus interne étant à l'oeil nu presqu'invisibles, nous nous convainquons parfois qu'il n'existe pas. Evidemment, nous avons tort.
Les chansons, les romans sont des espèces menacées. De beaux films disparaissent dans le sillage des blockbusters - parfois, ceux-là mêmes sont engloutis dans le vacarme de leur propre promotion.
Si nous ne faisons pas d'efforts, les mots, sans tout à fait s'éteindre, se voilent progressivement, perdent en lisibilité. Dans les manuels scolaires aux ambitions ravalées, les ramassis de pubs et dépêches partisanes que sont les quotidiens gratuits, les romans de je ne sais trop qui... dans tout cela, il y a des papiers tue-mots.
Ils effilochent la pensée.

En ces temps de restriction drastique des effectifs linguistiques, où la valeur-pensée est en chute libre (et plutôt que de ronger les quelques carcasses de concepts que l'on voudra bien nous jeter), il est temps de muscler la langue ; il est temps de (ajoutez à cette liste, loin d'être exhaustive, vos verbes favoris ; pour préciser votre pensée, accolez-leur des adverbes) lire, regarder, écouter, s'informer, étudier, relayer, débattre ; partager, recommander, offrir...

Tenez, par exemple. Pour commencer, je pourrais parler :
1. d'une chanson qui m'inspire la scène suivante : Depuis près de vingt ans, je vis reclus dans une sorte de grotte ; j'ai rompu tout contact avec la société des hommes ; je n'ai jamais coupé ma barbe et m'alimente de petites baies qui poussent à l'entrée de la grotte (et que je cueille quand le soleil a déjà bien baissé). Un jour, j'entends une mélodie (avec des cris d'enfants dedans - des cris samplés, d'enthousiasme). Cela sort d'un vieux poste radio que des campeurs ont installé à quelques mètres de là. Personne encore n'avait approché de si près ma petite grotte. La musique (un air de guitare agrémenté de quelques notes de piano et de bricolages électro) est si belle que pour l'entendre mieux je finis par sortir de la grotte ; dans un premier temps, la lumière m'agresse, me rend presque aveugle, puis elle me ravit, me réchauffe.
"Here I go... again...", chante le type. Je rejoins les campeurs qui, me voyant pourtant sale, débraillé, ne me craignent pas. Parmi eux, il y a une jeune fille, et elle est belle. (Il ne manque plus qu'une biche sortant des bois : on serait alors chez Douglas Sirk.) Ils m'invitent à leur table, et je mange avec eux ;
2. d'un film dont le sens et la beauté ne me sont apparus pleinement qu'à sa troisième vision ;
3. d'un roman qui brasse brillament les sentiments, l'Histoire, la spiritualité, l'opiniâtreté à ne pas disparaître, la mémoire (qui est plus qu'un devoir, une corvée institutionnelle), et qui en appelle avec tant de foi au pouvoir des mots, de la création - à leur résistance, leur cheminement souterrain, et jusqu'à leur inévitable surgissement... -
mais, puisqu'il s'agit de la note zéro (d'une sorte de petite prise de contact), je remets tout cela à plus tard ; je me contenterai d'attirer votre attention sur le fait que, la semaine dernière, Sir Edmund Hillary est mort. Il n'a pas écrit Tendre est la Nuit, ni composé Horse Tears (l'objet d'une prochaine note, probablement), mais il a gravi l'Everest. Il fut même - avec le sherpa Tensing Norgay - le premier à le faire.

Entamer un blog (et finir une note) sous de tels auspices... avouez qu'il y a pire.


Balthazar Castiglione.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et bien, quelle judicieuse idée ce blog, je m'en vais de ce pas, l'ajouter à mes favoris, et repasserais donc dans un moment plus ou moins proche vous lire, découvrir, apprendre et partager.

Baldassare Castiglione a dit…

Merci bien Sarah, vous serez la bienvenue ! A très bientôt, donc...